Poésie: Mon rêve familier

Publié le par Michel

Mon rêve familier

 

 

 

 

Je fait souvent ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

 

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent

Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

 

Est-elle brune, blonde ou rousse ? –je l’ignore.

Son nom ? je me souviens qu’il est doux et sonore 

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

 

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointain, et calme, et grave, elle a

L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

 

Paul Verlaine, « Poèmes Saturniens » 1866

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION :

 

Date : écrit en 1866.

 

Recueil : « Poèmes Saturniens »

Verlaine professe d’abord l’impassibilité parnassienne ; et ce premier recueil contient des « eaux-forte » ou des tableaux dans le goût du Parnasse. Déjà, pourtant, le vrai Verlaine apparaît, avec sa sensualité, sa tendresse et sa mélancolie : il compose des « paysages tristes », évoque un amour disparu ( « Nevermore » ), une femme idéale («  Mon rêve familier » ), associe aux caprices de son imagination le charme d’un paysage crépusculaire ( « Soleils couchants » ) et laisse entendre un écho assourdi de l’inquiétude romantique (« Chanson d’automne » ).

 

Auteur : Paul Verlaine.

 

Sujet : Ce poème est le sixième poème de la section initiale Melancholia des « Poèmes saturniens ». Il évoque la femme idéale.

 

Rimes-Rythme :

Ce poème constitue un sonnet. Il est formé de quatorze vers répartis en deux quatrains et deux tercets.

Chaque vers comprend douze syllabes (= alexandrins). Ce nom est donné à la fin du Moyen Age en allusion à un poème en vers de douze syllabes sur Alexandre le Grand.

·        Pour chacun des deux quatrains, on constate  des rimes suivant le schéma  abba ( = rimes embrassées ). C’est assez musical.

  • Pour le premier tercet, les vers un et deux riment. Le troisième vers du premier tercet rime avec le deuxième vers du deuxième tercet.
  • Pour le deuxième tercet, les vers un et trois riment.

 

  

COMMENTAIRES :

 

 

1) Ce poème est l’occasion pour Verlaine de s’impliquer, de parler de son sort, de ses problèmes psychologiques.

a)      par l’emploi de la première personne du singulier

Le « je » de l’auteur, rappelant son mal-être, s’oppose au « elle » qui introduit le récit du rêve, « la femme rêvée ».

 

b)      par l’emploi des adjectifs possessifs et du pronom personnel « me »

Verlaine accentue sa présence à l’aide des adjectifs possessifs à la première personne : « mon cœur », « mon front » et dans le titre déjà « mon rêve ».

Le pronom personnel renforce cette idée : « m’aime » deux fois, « me comprend » deux fois.

Ensemble, ils insistent sur l’idée que le poète est bien le principal personnage du texte.

 

 

 

c)      par l’effet des répétitions :

Elles donnent l’impression d’être séduits, même subjugués (= envoûtés ) pour mieux nous faire pénétrer le charme de la parole.

 

Dans la première strophe : le son é apparaît neuf fois (« étrange », « pénétrant », « et » six fois ) et le son « è » huit fois ( « je fais », « rêve », « j’aime », « m’aime » deux fois, « m’es »t, « a fait » deux fois ). De même le son  an  est répété trois fois : c’est une assonance.

 

Dans la deuxième strophe : « elle seule » plusieurs fois répétée exprime le regret pour Verlaine. Il n’existe ou n’existerait qu’une seule femme qui puisse l’aimer et le comprendre. 

 

d)      l’exclamation « hélas » et les interrogations dans le premier tercet reprennent

      l’idée que Verlaine déplore que l’existence de cette femme est peut-être

      impossible.

 

2) Un sentiment se dégage de ce texte : l’importance de la réciprocité.

Les verbes aimer et comprendre montrent à quel point la condition du poète est difficile et combien il a besoin d’être compris et aimé.

 

3) La place et le rôle de la femme pour notre poète :

En 1866, Verlaine n’a pas encore trouvé dans sa vie la femme qu’il cherche ( voir rencontre de Mathilde  Mauté en 1869 ).

On sent son désarroi ; il ne sait s’il peut y croire. Ceci se ressent au fur et à mesure du texte : « femme inconnue », « que j’aime », puis  « qui m’aime », « elle seule », « ceux des aimés que la Vie exila ». Elle disparaît avec « des voix qui se sont tues ».

 

4) Il ne sait pas donner de cette femme un portrait : tout est flou. Ce n’est pas une femme en particulier mais la femme en général. Elle n’a pas de nom, pas d’identité. On ne connaît pas de détails physiques.

« Ni tout à fait la même », « Ni tout à fait une autre », ces deux expressions indiquent que la femme de Verlaine n’est pas définie ; elle est chargée de mystère. Existe-t-elle dans l’imaginaire ?

 

5) Conclusion :

Mon rêve familier est l’occasion pour Verlaine d’évoquer la dure condition de poète

meurtri par son hyper sensibilité et de parler de lui même. Verlaine s’est caché derrière la femme qui lui apparaît dans son « rêve familier » pour nous concentrer sur son sort et nous faire connaître son drame intérieur.

        

 

 

 

 

 

Publié dans Dossiers

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