Poésie: A ma mère

Publié le par Michel

A ma mère

 

 

 

 

O Claire, Suzanne, Adolphine,

Ma Mère, qui m’étiez divine,

 

Comme les Maries, et qu’enfant,

J’adorais dès le matin blanc

 

Qui se levait là, près de l’eau,

Dans l’embrun gris monté des flots,

 

Du fleuve qui chantait matines

A voix de cloches dans la bruine;

 

O ma Mère, avec vos yeux bleus,

Que je regardais comme cieux,

 

Penchés sur moi tout de tendresse

Et vos mains elles, de caresses,

 

Lorsqu’en vos bras vous me portier

Et si douce me souriiez,

 

Pour me donner comme allégresse

Du jour venu qui se levait,

 

Et puis après qui me baigniez

Nu, mais alors un peu revêche,

 

Dans un bassin blanc et d’eau fraîche,

Aux aubes d’hiver ou d’été.

 

O ma Mère qui m’étiez douce

Comme votre robe de soie,

 

Et qui me semblait telle mousse

Lorsque je la touchait des doigts,

 

Ma Mère, avec aux mains vos bagues

Que je croyais des cerceaux d’or,

 

Lors en mes rêves d’enfant, vagues,

Mais dont il me souvient encor;

 

O ma Mère aussi qui chantiez,

Parfois lorsqu’à tort j’avais peine,

Des complaintes qui les faisaient

De mes chagrins choses sereines,

 

Et qui d’amour me les donniez

Alors que pour rien, je pleurais.

 

O ma Mère, dans mon enfance,

J’étais en vous, et vous en moi,

 

Et vous étiez dans ma croyance,

Comme les Saintes que l’on voit,

 

Peintes dans les livres de foi

Que je feuilletais sans science,

 

M’arrêtant aux anges en ailes

A l’Agneau de Verbe couché,

 

Et à des paradis vermeils

Où les âmes montaient dorées,

 

Et vous m’étiez la Sainte-Claire,

Et dont on m’avait lu le nom,

 

Qui portait comme de lumière

Un nimbe peint autour du front.

 

Mais temps qui va et jours qui passent,

Alors, ma Mère, j’ai grandi,

 

Et vous m’avez été l’amie

A l’heure où j’avais l’âme lasse,

 

Ainsi que parfois dans la vie

Il en est d ‘avoir trop rêvé

 

Et sur la voie qu’on a suivie

De s’être ainsi souvent trompé,

 

Et vous m’avez lors consolé

Des mauvais jours dont j’étais l’hôte,

 

Et m’avez aussi pardonné

Parfois encore aussi mes fautes,

 

Ma Mère, qui lisez en moi,

Ce que je pensais sans le dire,

 

Et saviez ma peine ou ma joie

Et ma l’avériez d’un sourire.

 

O Claire, Suzanne, Adolphine,

O ma Mère, des Ecaussines,

 

A présent si loin qui dormez,

Vous souvient-il des jours d’été,

 

Là-bas en Août, quant nous allions,

Pour les visiter nos parents,

 

Dans leur château de Belle-Tête,

Bâti en pierres de chez vous,

 

Et qui alors nous faisaient fête

A vous, leur fille, ainsi qu’à nous,

 

En cette douce Wallonie

D’étés clairs là-bas, en Hainaut,

 

Où nous entendions d’harmonie,

Comme une voix venue d’en-haut,

 

Le bruit des ciseaux sur les pierres

Et qui chantaient sous les marteaux,

 

Comme cloches sonnant dans l’air

Ou mer au loin montant ses eaux,

 

Tandis que comme des éclairs

Passaient les trains sous les ormeaux.

 

O ma Mère des Ecaussinnes,

C’est votre sang qui parle en moi,

 

Et mon âme qui se confine

En Vous, et d’amour, et de foi,

 

Car vous m’étiez comme Marie,

Bien que je ne sois pas Jésus,

 

Et lorsque vous êtes partie,

J’ai su que j’avais tout perdu.

 

Max Elskamp, « La Chanson de la rue Saint-Paul » 1922

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION :

 

Date : écrit en 1922.

 

Recueil : « La Chanson de la rue Saint-Paul »

Ce recueil est considéré comme le chef d’œuvre du poète. La rue Saint-Paul est une rue réelle. C’est la rue ou est né le poète. Il s’agit d’un lieu symbolique car c’est un lieu qu’il a rapidement quitté (à l’âge de huit ans).

Christian Berg, professeur de lettres et ayant écrit des études sur Max Elskamp, qualifie la rue Saint-Paul comme le corridor des souvenirs. A travers cette rue, Elskamp retrouve le chemin des souvenirs. Ces huit premières années vécues dans cette rue constitue l’enfance heureuse d’Elskamp.

Ce recueil est constitué de souvenirs familiaux : ceux de ses parents et de ses amis. Ces poèmes sont teintés de tendresse , d’émotion. Elskamp considérait que ses souvenirs étaient trop intimes pour intéresser le public.

 

Auteur :  Max Elskamp.

 

Sujet : Poème dédié à sa mère, décédée en 1911. C’est l’évocation de l’être aimé. Max Elskamp fut très attristé par sa disparition.

 

Rimes-Rythme :

Ce poème fort long se compose de quarante-six (46) strophes de deux vers (=distiques). C’est peut-être l’intérêt pour une disposition typographique non conventionnelle qui a incité Elskamp à écrire de nombreux poèmes en distiques.

Chaque vers possède huit syllabes (= octosyllabes).

 

Au niveau des rimes, apparaissent des schémas différents :

-les deux vers d’une même strophe se terminent par une même rime (c’est le cas par exemple pour les sept premières strophes …)

-dans deux strophes consécutives, les premiers et les deuxièmes vers de chaque strophe riment (c’est le cas par exemple pour les strophes de onze à seize de trente-six à quarante-six).

-dans deux strophes consécutives, le premier et quatrième vers et deuxième et troisième vers riment (c’est le cas par exemple vingt-cinq et vingt-six).  

 

  

 

COMMENTAIRES :

 

 

1) Elskamp s’est beaucoup inspiré des chansons populaires ( fort à la mode à cette époque ; la plupart des symbolistes l’on fait exemple Verlaine avec «  la Bonne Chanson »). Il utilise la répétition très caractéristique dans la poésie populaire d’une strophe à l’autre

                 exemple de nombreux vers commencent avec « Ma Mère » (quatre fois) ou

                                               «  O Ma Mère » (six fois).

Ces tournures qui reviennent restent gravées dans notre esprit par leur sonorité. Ceci contribue, à la manière d’un refrain, à recréer une atmosphère du souvenir.

 

 

 

2) Ce poème, plein de vérité et de réalité, retrace différents épisodes de la vie du poète. Ce sont des moments qu’il a véritablement vécus, passés avec sa mère. Il sont riches en émotions.           Exemple : A Ecaussinnes, Max allait passer ses grandes vacances d’été « Août » chez ses grands-parents maternels qui vivaient dans un château « château de Belle-Tête devenu plus tard u orphelinat Le Gai Logis. Son grand-père y était maître carrier « Le bruit des ciseaux sur les pierres ». Près du château, il y avait une ligne de chemin de fer « passaient les trains » ; même les arbres sont véridiques « ormeaux » .

 

3) La bibliographie d’Elskamp révèle que peu de femmes ont compté dans la vie du poète : son grand amour contrarié Maria de Matis devenu Maya, sa mère et sa sœur Maria .

Ainsi, au travers de son œuvre, Elskamp utilise fréquemment ce prénom. Il semble qu’il s’agisse d’un véritable amour pour ce nom et non d’un amour catholique.   

Publié dans Dossiers

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